De tes yeux innocents, tu regardes ton frère jouer avec ses chevaux. Tu souris, t'asseyant dans l'herbe pour manger tes tartines sans t'en mettre partout. Tu savoures, tu fermes les yeux. Tu manges tranquillement, fixant le ciel, puis l'écureuil jouant dans l'arbre en face de toi. Tu ris en le regardant. Il est mignon. Son pelage est de la même couleur que les cheveux de Ciàn. Parfois tu le dis à maman et ça l'a fait rire. Mais toi, ce qui te fait le plus rire, ce sont les oreilles de ton frère. Elles sont décollées et certains se moquent de lui. Toi, tu trouves ça trop cool. T'aimerais bien avoir les mêmes, alors des fois, tu les décolles grâce à tes doigts en te regardant dans le miroir, te comparant à ton faux jumeaux. Tu termines de manger et te retournes. « Eh Ciàn, je - ... » Tu t'arrêtes et te lèves en vitesse, regardant autour de toi. Tu ris, pensant à une blague. Tu commences à sautiller sur place en tirant la langue. « Alleeeez ! Montre-toi ! J'veux jouer avec toi moiiii ! » Cris-tu. Tu le cherches. Cinq minutes passent. Puis dix. Vingt. Jusqu'à-ce que tu te dises que c'est bizarre. Les larmes aux yeux, tu coures à l'intérieur de la grande maison de tes parents. Tu renifles et cries, alerté. Ta mère te prend dans ses bras et caresses tes cheveux. Elle te demande ce qu'il y a et tu vois son visage se décomposer à l'instant même où tu lui avoues que ton frère n'est plus dans le jardin depuis une demie-heure. C'est le début du cauchemar, pour toi, comme pour ta famille.

Tu cries. Tu pleures. Tes poings s'abattent sur le torse de ton père tandis que tu te mords la lèvre inférieure avec force. Tu hurles. Tu insultes tes parents et leurs amis. Cela fait trois ans maintenant, que ton frère a disparu. Tout le monde le croit mort désormais. Tout le monde, sauf toi. Si tes parents eux, font avec sa disparition, toi, tu n'y parviens pas. Ils veulent jeter ses affaires. Ils ne veulent plus que tu dormes dans son lit. Ils veulent tout effacer. Ils disent que c'est pour ton bien. Que sans cette chambre, tu parviendras à l'oublier. Mais toi, tu ne veux pas oublier Ciàn. Tu secoues la tête et commences à avoir du mal à respirer. Cela t'arrive souvent depuis que ton faux jumeaux s'est fait enlevé. Ton père te pose sur la moquette et coure chercher ton inhalateur. Tu restes immobiles, les bras ballant. Tu pleures silencieusement désormais, et on peut voir toute la tristesse que tu ressens sur ton visage déformé par la douleur. Tu ne veux pas que tout parte. Tu veux continuer à dormir dans son lit. Tu veux l'attendre. Parce qu'il reviendra. Parce qu'il est toujours vivant. Tu le sais. Tu le sens. Ton père revient et te force à respirer, il plaque l'objet dans ta bouche et appuie. Tu parviens à reprendre ton souffle et tu le regardes méchamment. Tu les détestes ; tu les hais ! Ils ont décidé d'arrêter les recherches ! Mais toi, tu continueras. Parce que Ciàn n'est pas mort. Non. Non. C'est Impossible !

Les yeux rivés sur le sol, tu ne parles pas. Tout le monde te croit fou. Tout le monde pense que tu as perdu la tête. Personne ne te comprend. Personne n'arrive à comprendre pourquoi tu t'obstines à dire, à croire que ton frère est toujours en vie et qu'il va revenir. Du haut de tes quatorze ans, tu ne veux rien entendre. Tu as réussi à garder quelques affaires de Ciàn, quand tes parents ont décidé de tout virer. Quand ils ont décidé de changer sa chambre en bureau. Ils ne jurent que par toi, désormais. Mais tu les déçois. Pourtant, tu devrais encaisser le rôle. Le rôle de deux personnes à la fois. Tu dois être intelligent et beau pour deux. Tu dois être poli et gentil pour deux. Parce qu'ils ont besoin de toi. Mais tu ne peux pas faire semblant. Persuadé que ton frère est en vie, tu frappes quiconque ose te dire le contraire. Et tes parents ne supportent pas cela. C'est pourquoi tu es chez ton psychologue, actuellement. Enfin … Techniquement … C'est le sixième. Tous ont abandonné. Ils ont dit à tes parents que tu es une cause perdue. Bande de connards. Ciàn n'est pas mort. Non. On ne retrouvera pas son corps sans vie dans un ravin. Comment peuvent-ils dire des choses aussi atroces ? Tu serres les dents. « Et si tu me parlais de tes cauchemars, Ezeckiel ? » Tu lèves les yeux vers le vieil homme. Il te sourit faiblement. Lui, il tente de te comprendre. Alors, tu l'aimes bien. Un peu. Juste un peu. Tu déglutis et te mordilles la lèvre inférieure. « Je … Ciàn est là … Mais … Mais il est toujours aussi petit que le jour où … où il a disparu. Il coure. Il coure vite. Il veut s'enfuir. Derrière, quelqu'un le poursuit, mais il parvient à se cacher. Il reste sans bouger, sans respirer et au moment même où il sort de sa cachette, je me réveille. A chaque fois, c'est la même chose, vous devriez connaître cette histoire par cœur désormais, monsieur. » Dis-tu avant de hausser des épaules. Tu n'as même plus la force de pleurer en public. Tu ne dors pas beaucoup. Cinq heures maximum chaque nuit et ce, depuis que ton frère n'est plus à tes côtés. Quand tout le monde dort à la maison, toi, tu restes debout devant ta fenêtre. Tu guettes l'arrivée de ton frère.

Tu joues avec le bas de ton haut en fixant ton père, la gorge nouée. Il ne dit rien. Il se contente de guetter l'arrivée de la voiture. Ciàn. Ciàn. Ciàn. Tu ne cesses de répéter le prénom de ton frère intérieurement. Il va bientôt arriver. Tu as envie de hurler de joie, de courir partout, mais pourtant, tu restes immobile. L'appel d'il y a quelques minutes vient de te bouleverser. Alors, depuis tout ce temps, tu avais raison. Ta famille avait beau te croire fou de penser qu'il était toujours envie, il semblerait que tu sois celui qui avait vu juste. Tu te mords la lèvre en te tortillant sur le siège. Bordel. T'es pressé. Onze ans. Cela fait onze longues années que tu attends ce moment. Tu passes une main dans tes cheveux avant de te lever en entendant le bruit de la voiture. Ça y est ! Ça y est ! Ils sont là ; Ciàn est là ! Tu restes cependant dans le salon et fixes la porte d'entrée dans le hall. Elle s'ouvre doucement. Ta mère entre la première, suivit de très près par un jeune homme de ton âge. Tu déglutis, le cœur affreusement serré, bien qu'il batte extrêmement vite. « C-ciàn ... » Murmures-tu avant que ton père ne le prenne dans ses bras. Il est beau, ton frère. Tu le fixes sans plus rien dire, les lèvres entrouvertes. Tu n'en reviens pas. Il est bien là ! Sous tes yeux, enfin ! Tu souris faiblement et t'approches avant de le serrer contre toi, humant son odeur. Tu revis. Tu te sens bien. Tellement bien. Tu ne penses pas avoir été aussi heureux depuis … Depuis tellement de temps, en fait. « Bordel de Zeus ... » Lâches-tu en murmurant, serrant un peu plus ton frère contre toi. C'est le début d'une nouvelle vie, d'un nouveau départ. C'est d'ailleurs pourquoi votre mère vous annonce directement que vous allez changer de maison, de ville, de tout. Parce que vous allez revivre, maintenant que vous avez retrouvé Ciàn.